Dans la soirée du mercredi 8 janvier dernier, deux hommes, dont un qui était venu pour se faire soigner, ont violemment attaqués douze membres du personnel de la clinique privée Pays de Savoie à Annemasse (Haute-Savoie).
Ce sinistre fait divers a été repris par les journaux et a entrainé la fermeture temporaire des urgences. Il y a quelques années, il aurait fait la une. Aujourd’hui, la violence sur soignants fait partie de la « délinquance ordinaire », comment en sommes-nous arrivés là ?
Le sauveur qui se fait agresser par celui qu’il est censé sauver, suscite une incompréhension totale chez les professionnels de santé. Le secteur fait face à de nombreuses agressions de diverses formes de la part des patients et de leurs familles. En effet, chaque jour en France, 65 professionnels de santé sont agressés, insultés, violentés (voire pire), car ils soignent.
L’Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS) a recensé 18 768 signalements de violences à l’encontre de professionnels de santé pour l'année 2022. Les infirmiers sont les plus exposés à ces agressions et représentent à eux seuls 45 % des victimes de violences.
Ces faits traduisent une transformation de la relation aux soins et impactent directement l’évolution du métier.
La pénurie de professionnels, la pandémie, et les crises que traverse le système de santé public et privé ont un impact direct sur la relation soignant soigné.
La relation est le théâtre central de l’activité de soins, et questionne fortement le soignant dans l’analyse de sa pratique professionnelle.
Dans un article paru dans PISTES, le constat est le suivant :
« Lorsqu’il est question de la souffrance des personnels soignants, les notions de burnout et de syndrome d’épuisement professionnel sont très souvent réunies. En 1974, observant un ensemble de symptômes que présentent des bénévoles en activité auprès de toxicomanes, Freudenberger choisit le terme de burnout afin de décrire un état dû à une utilisation excessive des ressources de la personne accompagnée d’un sentiment d’échec. Cette première conception met l’accent sur l’absence de résultats escomptés par des individus qui sont très engagés dans leur activité et ont des idéaux élevés. En 1981, Maslach et Jackson reconsidèrent le phénomène décrit par Freudenberger et proposent une définition dont est issu le modèle tridimensionnel, fréquemment employé de nos jours, caractérisant le burnout par trois traits : l’épuisement émotionnel, la déshumanisation de la relation à l’autre, la perte du sens d’accomplissement de soi au travail. Dans cette perspective, les relations interpersonnelles sont situées « au cœur du burnout »
Le manque de temps, le manque d’effectif sont souvent avancés comme un élément déterminant qui frustre le soignant et l’oblige à passer d’un acte avant tout relationnel à un acte avant tout technique.
Ce n’est néanmoins pas la seule raison, et l’évolution des générations apporte également des éléments de réponse. Sans tomber dans la caricature, on peut s’interroger sur la transformation du soignant, et le côté de plus en plus suranné, de ce qu’on appelait il y a encore 30 ans, la vocation. Aujourd’hui, les valeurs soignantes ne sont plus systématiquement mises en avant. En effet, une étude révèle qu’ils ne sont plus que :
La réforme de l’entrée dans le métier, notamment pour le diplôme d’infirmier, a fait oublier la « vocation » qui animait encore les futurs soignants il y a quelques dizaines d’années.
La violence contre nos soignants ne facilite pas les choses, en effet, les soignants ont désormais la boule au ventre, conscients qu’ils peuvent à tout moment faire l’objet d’une agression ou être témoins d’agressions. Cela les force à se réinventer et à changer de métier, car ils ne se sentent plus en sécurité
Selon l l’Ordre National des Infirmiers, « 97 % des infirmiers considèrent que leurs conditions de travail deviennent de plus en plus difficiles, 26 % des répondants envisagent de quitter la profession dans les 12 mois à venir et seulement 18 % conseilleraient à leurs enfants ou à leurs proches de devenir infirmiers »
Les agressions font maintenant partie u quotidien de la fonction. Il y a 40 ans le patient se mettait entre les mains du soignant et il disait « merci docteur ». Aujourd’hui il a une attitude consumériste, et ne supporte ni les attentes, ni les incertitudes. Le sujet de la santé étant particulièrement anxiogène, l’agressivité constitue un moyen pour faire passer sa crainte.
Pour faire face à ce problème, le gouvernement, met en place un plan pour la sécurité des professionnels de santé articulé autour de trois axes :
Des amendes pouvant aller jusqu’à 75 000 € et des peines d’emprisonnement pouvant atteindre cinq ans sont également prévues pour les personnes coupables d’agressions envers des professionnels de la santé.
Ces mesures adoptent le schéma classique prévention/répression/communication. La réussite d’un tel plan nécessite la participation des soignants. Ils sont aujourd’hui vaccinés de la prévention par le biais de la communication. Ils ne se voient pas (conflit de valeur) travailler avec un agent de sécurité qui les protège.
Les solutions doivent être cherchées de façon plus profonde. Elles renvoient aux réflexions actuelles sur la diminution dans l’opinion, des valeurs de respect mutuel. À leur tour, les organisations du secteur appellent les pouvoirs publics à plus de rigueur sur ce sujet. Elles exigent notamment une meilleure écoute des victimes de violences de la part des autorités policières et judiciaires, afin de permettre un traitement efficace et rapide des dossiers. Elles demandent également une prise en charge globale des victimes, tant sur le plan financier que psychologique, ainsi qu’un traitement des causes structurelles des violences. Enfin, elles plaident pour un management institutionnel du système de santé intégrant davantage de professionnels du secteur dans la gouvernance des institutions, à tous les niveaux.
Ces violences nous renvoient un sacré défi. Elles obligent les professionnels à adapter leur communication et à prendre garde, ce qui va à l’encontre de l’empathie développée par la plupart d’entre eux. Mais ils y arrivent quand même.