TRAVAILLER POUR EXISTER
Continuons notre chronique pour essayer de comprendre l’évolution du sens de la valeur travail, ou du travail pour les générations actuelles. Nous avons vu (chronique 1), que nous n’attirerions plus en prônant le travail comme levier de consommation, bien au contraire. Dans notre deuxième essai, nous avons évalué la perte de sens de la notion de devoir.
Attelons-nous au troisième pilier de la reconnaissance du travail qui te permettra « d’être quelqu’un mon fils ».
Être quelqu’un, construire son identité, est encore pour beaucoup d’entre nous lié à la fabrication d’un marqueur social déterminant qu’est le travail. Dès son plus jeune âge l’enfant est conditionné, pour être apte à embrasser une profession, qui pourra et sera souvent un marqueur de différenciation sociale.
L’éducation, et plus tard, la position professionnelle, sont utilisés comme des outils de résistance à la mobilité sociale. Pendant longtemps, obtenir un avenir professionnel prisé a été un réflexe de préservation identitaire. Les catégories favorisées ont mis au point des outils de reconnaissance, des nouveaux diplômes, des expatriations diplômantes (facilitées par l’Européisation des diplômes), pour permettre à leurs rejetons d’accéder aux professions, qu’ils n’auraient pu atteindre en suivant des cursus ouverts à tous.
Ainsi, En 2014, pas moins de 47 % des fils et filles de cadres supérieurs étaient eux-mêmes cadres sup, contre moins de 20 % de l’ensemble des fils et filles, et moins de 10 % des enfants d’ouvriers. Selon Le Monde, la même année le pourcentage de demandeurs d’emplois à la sortie des études est de 11% pour les enfants de cadres contre 27% pour les enfants d’ouvriers.
La reproduction sociale passe par le travail qui est un marqueur de position. Néanmoins la position sociale telle qu’on la concevait dans les années 70 n’a plus cours aujourd’hui. Elle n’a pas disparu, elle évolue, muée par les mêmes mécanismes résumés dans une étude de la revue Erudit :
« Ainsi, les individus construisent, à des degrés divers, une part de leur identité sur la base de leur travail : « Pour nombre d’individus, l’identité professionnelle et/ou organisationnelle peut être plus marquante et déterminante que celle qui leur est attribuée sur la base du genre, de l’âge, de l’ethnicité, de la race ou de la nationalité » (Hogg et Terry, 2000 : 121). En devenant le lieu central du lien social, le travail représente l’un des sièges du sens existentiel, et ainsi un champ privilégié de la quête identitaire (Brun et Dugas, 2005). (1) »
Néanmoins, s’il y a toujours une recherche d’identité, on est beaucoup moins dans la reproduction générationnelle. Celle-ci n’est plus systématique et nos enfants sont beaucoup moins « normés » que nous ne pouvions l’être à notre génération. Mon notaire a 62 ans ; il est fils et petit-fils de notaire et père d’un artiste et d’une cuisinière. Ses enfants ont résisté à l’aiguillage social par le travail.
Comment peut-on expliquer cette évolution ? Est-elle liée une modification de la valeur travail et des liens sociaux qu’elle génère ?
Pour répondre à cette question rappelons nous ce que c’est qu’un lien social.
Selon Serge PAUGAM (2008), Les liens sont multiples et de nature différente, mais ils apportent tous aux individus à la fois la « protection » et la « reconnaissance » nécessaires à leur existence sociale [Paugam, 2008]. La protection renvoie à l'ensemble des supports que l'individu peut mobiliser face aux aléas de la vie (ressources familiales, communautaires, professionnelles, sociales…), la reconnaissance renvoie à l'interaction sociale qui stimule l'individu en lui fournissant la preuve de son existence et de sa valorisation par le regard de l'autre ou des autres.
Elémentaire mon cher Watson, le travail est donc toujours un marqueur social et une source de valorisation aux yeux des autres. Ce qui a évolué c’est peut-être un changement de paradigme sur l’évaluation des métiers. Notaire, pharmacien, médecin, énarque restent des étiquettes respectables qui peuvent être regardées avec envie par certains d’entre nous, mais ce ne sont plus les seules.
Peut être que demain nous remplacerons la blague de la mère qui crie
« au secours y a mon fils avocat qui se noie » par « au secours y a mon fils climatologue qui se noie. »
Aujourd’hui le travail comme marqueur social existe toujours. Néanmoins, la recherche du travail pour atteindre une position a évolué. Si elle est souvent recherchée par ceux qui n’y auraient pas eu accès socialement, elle est un peu boudée par les enfants des élites qui recherchent autre chose et ce ne sont pas les seuls d’ailleurs.
Enfin, nous allons arriver à comprendre ce qu’est la valeur travail pour ceux qui construirons nos lendemains.
Suite à la prochaine et dernière partie de cette rubrique…
(1) A El Akremi · « Rôle de la reconnaissance dans la construction de l’identité au travail.» Erudit 2010
(2) Serge Paugam « Changement et pensée du changement » Editions La Découverte